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Une nuit de rêve et mille nuits de peur

Khaled SULAIMAN

« Qu’est ce qui, dans l’état actuel des choses, me donne le courage d’affronter le quotidien de la vie ? » Cette question me ramène au passé, vers des points sombres sur un terrain isolé ; vers un passé qui m’attache toujours à une vision absurde, parce que j’ai perdu le sens de la vie, silencieusement, dans ce même passé qui n’est pas si lointain.

En 1988, j’étais étudiant en théâtre au Kurdistan irakien et j’avais plein de rêves ou bien j’étais un rêveur qui venait d’un territoire oublié, venu dans une grande ville étudier le théâtre, changer le monde, créer une vie idéale, en bref, j’étais un idéaliste attaché à l’utopie.
Mais le quotidien dans lequel je baignais, c’était un espace encerclé par l’ombre des petits frères de « Big Brother ». Entre nous, les Kurdes et la vie, il n’y avait qu’une nuit de rêve et mille nuits de peur. Les images de ce grand frère « Big Brother », qui s’appelait Saddam Hussein à l’époque, nous entouraient même par les fenêtres de nos âmes.
Nous devions répéter des phrases et des slogans comme des perroquets, nous disions tous les jours en sortant de la maison, en entrant à l’école : « Vive Saddam , vive le parti Baath et l’unité, Tooz les américains de mon cul. » Au théâtre, nous devions être des soldats et devions combattre tous ceux qui n’aimaient pas Saddam. Ainsi parlaient les hommes de Big Brother. Cela voulait dire qu’on n’avait pas besoin d’affronter le quotidien de la vie, parce que, selon une légende stupide nous étions les meilleurs guerriers du monde, donc on n’avait même pas besoin de penser à la question d’affronter la vie quotidienne...
Au fond, nous avions les projets théâtraux les plus pauvres du monde. On n’avait pas le droit d’enlever le portrait du président Saddam des décors de la scène, même pendant le spectacle ! Une seule fois, juste une, nous avions eu le courage d’enlever la photo de notre Big Brother, lors de la répétition générale d’un spectacle mettant en scène Spartacus. Nous étions sûrs que les étudiants recrutés par les services secrets étaient sortis du théâtre. Mais le lendemain, ils ont découvert que la photo avait été déplacée et n’ont pas hésité de nous accuser d’infidélité. Pourquoi ? Parce nous mettions en scène les ennemis du pays, en même temps nous avons perdu la répétition générale ou bien le premier spectacle de Spartacus sans oublier l’affrontement de nos personnages devant les épées roumaines.
* * * Au printemps de la même année, soit en 1988, l’une de nos villes kurdes, Halabja a été bombardée à l’arme chimique et cinq mille personnes sont mortes en silence. Ensuite le régime baathiste a fait disparaître 182 000 personnes dans une opération appelée Anfal pendant une courte période. C’était à la mi-avril. Là, j’ai été profondément meurtri, parce que j’ai perdu la moitié de ma propre famille. Je sentais que je perdais aussi toute mon enfance. Je n’étais plus qu’à un pas des fosses communes !
Comment avoir le courage d’affronter la vie, la tragédie quotidienne plutôt, dans la tristesse sourde et l’absurdit ? : des maisons éventrées assiégées par les souris, des camps remplis d’enfants sans parents, de parents sans enfants, de femmes sans hommes ; et tous ces yeux qui attendaient leurs proches qui ne revendraient plus jamais.
Le silence est devenu un mode de vie, une manière de penser. Un mutisme imposé par la tragédie, la guerre, les images de tyrans, le pouvoir invisible, les pays ravagés par les seigneurs de guerres locaux. Toutes ces monstruosités ont laissé une empreinte tellement ancrée sur notre vie qu’elles sont devenues les figures de notre pensée et de notre manière d’affronter la vie.
L’Anfal me confinait dans un recoin de l’existence où il n’y avait que l’attente, la sécheresse, la solitude de la brousse. Nous subissions tous le taillage des feuilles de l’âme. Nous étions ainsi très bien taillés par les ciseaux de la bande de notre Big Brother .
Alors le patrimoine du rêve et l’histoire de la peur sont tombées sur moi avec une absurdité lourde, et l’affrontement de la vie quotidienne m’est apparu comme une attente plurielle dans un temps inachevé.
En vous racontant cette histoire qui est la mienne tout en étant typiquement kurde, je vous livre le secret qui me tient en vie : la volonté d’affronter la vie pour vous livrer cette histoire composée d’une nuit de rêve et de mille nuits de peur. Mon destin est celui de vous raconter l’histoire d’une enfance perdue et d’une Anfal vivante, ou la résistance de la tristesse contre le passé.
* * * Je voudrais introduire les mots « nous avons cinquante mots à vous dire » dans mon passé et mon histoire, parce qu’ils évoqueraient mes premiers pas dans le monde de la connaissance.
Lorsque ma mère m’a appris les mathématiques, j’étais prisonnier du chiffre 50 parce qu’il s’est toujours imposé comme une impasse pour elle. À chaque fois qu’elle comptait quelque chose, elle n’arrivait pas à continuer jusqu’à 60, 61, 62. Après 50, elle devait donc revenir aux premiers chiffres.. Elle disait souvent 50 et 10 50 et 11 ou bien elle mettait deux 50 pour former le chiffre 100. Cette théorie de mathématique populaire n’était qu’une manière de composer avec la complicité de la science abstraite.
Aujourd’hui, sous le contrôle des Big Brothers mondiaux et sous la pression de leur pouvoir hypertechnologique, on ne sait plus qui contrôle quoi, est ce que ce sont les mathématiques, le système digital et le petit écran qui nous contrôlent, ou bien les propriétaires du village global ? Où vont les techniciens qui gravent notre destin sur des petites cellules mortes ? Face à ce désordre scientifique qui permet aux tyrans hypermodernes de saccager les jardins du monde, je m’attache à la théorie de ma mère.
* * * Au Nord du monde ou bien à Montréal - qui croule parfois sous une montagne de neige en hiver -, je me retrouve soudainement sans défenses, sans amis. Je me suis retrouvé seulement avec de la nostalgie, avec une mémoire pleine de mots orientaux. Parce que je ne suis pas alphabétisé ou ne répondant pas aux standards bureaucratiques québécois, je me suis retrouvé aussi avec une nouvelle peur face aux langues française et anglaise. Tout ce que j’avais appris sur les bords de l’océan, de l’autre côté, est devenu bien désuet dans ma nouvelle vie. Je devais donc bouleverser mon mode de vie et redevenir un petit enfant qui se couche tôt pour se réveiller tôt.
Ici à Montréal, j’ai affronté la vie quotidienne avec des moyens bizarres et inhabituels. Je n’hésitais pas à lire un article savant sur la philosophie de Martin Heidegger à l’aide d’un petit dictionnaire français-arabe. Mais ma professeure d’immersion en français m’a découragé et m’a obligé à apprendre les mots utilisés dans la vie de tous les jours comme : du pain, une carotte, une fourchette, une cuillère, une assiette, etc. C’est comme ça que j’ai (re) commencé ma vie, au quotidien.
* * * Depuis la théorie des mathématiques de ma mère, à l’époque d’El-anfal au Kurdistan, j’ai appris à affronter mes jours à l’aide de rêves inachevés, parce que le Big Brother était omniprésent : les idées, les livres et les journaux étaient interdits s’ils n’étaient pas conformes à ses diktats.
Il ne me restait que l’idée de fuir dans le néant. Mais dès mes premières tentatives de fuite, le pays est revenu comme une des images de mon enfance. À partir de ce moment, j’ai affronté la vie en racontant les histoires de mes amis qui sont morts balayés par la haine. Moi aussi, je faisais partie du projet d’élimination, mais j’ai survécu par hasard, grâce à mon père qui m’a envoyé étudier en ville, pour que je devienne un jour un mamosta, c’est-à-dire professeur.
C’était juste avant la révélation de l’horreur des fosses communes. Il ne savait pas que je deviendrais un conteur de la campagne d’Anfal, qui nous a nourrit du goût de la mort. J’ai dû être un survivant pour me retrouver au Nord de la planète et raconter les petites histoires d’une grande tragédie.
De nouveau je dis que ce qui me donne le courage d’affronter la vie ne concerne qu’un récit triste et une image achevée du passé qui me ramène toujours au cœur d’une métamorphose imposée.
Entre ce passé-là et ce présent-ci qui ne me semble qu’un temps pour raconter les histoires kafkaïennes, je suis nulle part. Je me trouve sur un sentier mais je ne suis pas arrivé encore à retrouver les images de mon enfance ou bien de mes amis qui ont disparu. Donc, je raconte leurs vœux et la fragilité de ce que fut leur existence dans la forêt de Big Brother.
Finalement : il me semble qu’il y a une nuit pour mes inconnues et mille nuits pour affronter la peur ou bien la vie.
* * * Ce qui me donne le courage d’affronter la vie chaque jour, ou bien la fin de chaque soirée, c’est le rêve d’être un conteur fidèle au passé. Ce n’est pas parce que le présent ne me concerne plus. C’est à cause des péchés que nous impose l’amnésie et d’une plus grande tragédie encore : le téléjournal truffé de la publicité. Donc, entre un rêveur utopiste et un autre qui raconte la tristesse, il y a toujours une orgie de mots échappéssur des camps fabriqués par les épées de Thanatos et dont les victimes sont toujours sous la tempête de rancunes et d’oubli. Mais l’espoir est là aussi, accrochons-nous à lui.
Au temps de rêve on se prépare le goût pour une belle vie, mais en dehors du rêve, ou sur le seuil de nos maisons, de nos cafés, de nos rues, et de nos jours aussi, on tâche d’éviter les images de la tragédie quotidienne, les mauvaises nouvelles qui nous meurtrissent. Deux raisons qui m’amènent au bord de la vie : les rêves et les seuils où je me retrouve, toujours en attente.

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‏قال chuck
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