Khaled Sulaiman
Le 7 juin dernier, alors que la guerre contre Daech [NDLR : le groupe État islamique] tirait à sa fin à Mossoul, le président « non élu » de la région du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a annoncé qu’il tiendra un référendum sur l’indépendance du Kurdistan le 25 septembre. Cette annonce de Barzani, qui causa de multiples réactions dans le pays comme ailleurs dans le monde, découle de son rêve de devenir le fondateur de l’État du Kurdistan.
Bien que l’indépendance soit le rêve historique du peuple kurde, l’annonce de Barzani, qui, malgré l’échéance de son mandat depuis 2015, reste au pouvoir comme président de facto, fait face à une forte opposition interne, politique autant que populaire. Des partis politiques, des hommes d’affaires et des intellectuels au Kurdistan s’opposent à cette décision, parce qu’ils constatent que le référendum aura lieu dans une situation interne critique et sans le soutien de la communauté internationale. Le projet d’indépendance décuplera la crise politique actuelle.
Notez que les États-Unis se tiennent aux côtés du gouvernement fédéral et ne soutiennent pas l’indépendance. Les Américains ont affirmé clairement que l’essentiel à l’heure actuelle est la guerre contre Daech. De son côté, l’Union européenne considère que les actions qui ne sont pas favorables au dialogue entre le gouvernement régional du Kurdistan et le gouvernement fédéral causeront des pressions supplémentaires inutiles à ce moment critique, y compris les répercussions régionales. Cela veut dire qu’un Irak uni est encore le centre d’intérêts de la communauté internationale.
Reconnaissance
La Turquie, quelle que soit l’amitié entre Barzani et le président Recep Teyyip Erdogan, a répété à maintes reprises qu’elle reste toujours contre un État kurde, « même en Afrique ». Mais si elle l’acceptait, selon le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, des conditions comme celles qui s’imposent dans la Chypre du Nord, non reconnue par la communauté internationale, seraient applicables au Kurdistan aussi.
De l’autre côté, l’Iran n’a pas hésité à utiliser un langage menaçant contre l’affranchissement du Kurdistan. Selon les « mollahs », l’Irak est une oie qui pond des oeufs d’or. Ils utiliseront donc toutes leurs forces pour garder cette oie à leur service et éviter évidemment tout changement géopolitique dans la région.
Cette réaction iranienne, liée à un rapprochement entre la famille royale saoudienne et celle de Barzani dans un sens, soi-disant sunnite, provoquera peut-être un conflit potentiel entre les milices chiites et les forces des peshmergas kurdes dans la province pétrolière de Kirkouk, pour autant que d’autres provinces apparaissent sur la liste des territoires contestés.
Il y a d’autres raisons internes pour lesquelles de nombreux Kurdes s’opposent au référendum. L’une d’elles, c’est la famille de Barzani elle-même. Par son insistance à rester président, poste qui ne lui revient plus depuis 2015, Barzani cherche à établir un système politique présidentiel qui lui donnerait un pouvoir absolu. Ainsi, il est bon de rappeler que le premier ministre, Nêçirvan Barzani, est son neveu et que le chancelier de la sécurité nationale, Masrour Barzani, est son fils.
Parlementarisme
En 2015, le système politique au Kurdistan aurait dû évoluer vers un système parlementaire. Le président du Parlement, Youssif Mohammed, a voulu passer le projet de réforme, mais cela lui a coûté une expulsion d’Erbil et a provoqué la fermeture du Parlement. Toutes les autres institutions élues démocratiquement étaient gelées ou contrôlées par le parti du président « non élu ». Le modèle de la « démocratie kurde » est suspendu depuis ce temps-là.
Il faut, dans un tel contexte politique, mentionner l’absence du système judiciaire comme l’absence des médias indépendants et professionnels dans la capitale de la région, Erbil. Une telle absence permet aux forces de sécurité de s’attaquer aux journalistes, aux activistes et aux opposants sans considérer la liberté d’expression et les droits de la personne.
En bref, puisque la situation économique au Kurdistan se trouve dans une impasse, une faillite totale n’est pas loin de s’imposer. La dette du gouvernement est de 30 milliards de dollars américains, les fonctionnaires ne reçoivent que 40 % de leurs salaires tous les deux mois, les services publics fonctionnent mal. Selon les opposants kurdes, l’origine de cette situation étouffante se trouve dans une politique semi-autoritaire pratiquée par Barzani, qui a décidé unilatéralement d’exporter le pétrole sans le gouvernement fédéral et sans compter les résultats.
Le Kurdistan se dirige vers un référendum. Il est difficile de prévoir un succès dans une telle situation, mais il n’est pas si difficile d’imaginer la naissance d’un État fragile comme celui du Soudan du Sud.
Ce texte est publié/ dans le quotidien québécois Le Devoir le 3 août 2017
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