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L’Irak se vide de ses chrétiens : histoire d’une catastrophe

Khaled Sulaiman 

Mossoul, été 2014. Un activiste chrétien m’a dit la phrase suivante avant que l’État islamique n’envahisse la ville : « On a peur que nos monastères et nos églises antiques ne se transforment en musées, bâtiments et châteaux commémoratifs que les touristes viendraient visiter. » Mon interlocuteur a exprimé par cette phrase une crainte que les médias n’ont abordée qu’après 2003. Celle de voir l’Irak se vider de ses chrétiens, à cause d’un terrorisme sans précédent qui menace leur existence dans le pays. 

Les craintes de l’activiste de Mossoul sur l’avenir de sa communauté et de son pays presque dépouillé de ses chrétiens se sont concrétisées par un cliché, paru dans la presse, représentant le dernier chrétien vivant à Khaniqin, à 160 km au sud-est de Bagdad. Celui-ci demeure le dernier de sa religion à vivre dans la ville avec sa famille et à pratiquer son culte dans les murs de sa maison. Sami Ebbou vit près d’une église abandonnée dans la ville de Khanaqin, église dont la croix domine toujours les anciens bâtiments environnants. Il dit : « Ceci n’est plus notre église. Elle s’est transformée en un bâtiment abandonné et les chrétiens ne peuvent plus y pratiquer leurs rites religieux. » Il s’est exprimé au pluriel, ayant oublié qu’il est le dernier chrétien de la ville. Au sud, plus précisément dans la ville de Bassorah, la troisième plus grande ville d’Irak habitée par les chrétiens, le nombre de communautés chrétiennes (Chaldéens, Syriaques, Arméniens) a diminué entre 2003 et 2014, passant de 1500 familles à 337, d’après le représentant patriarcal des villes de Bassorah et d’Amara et du Golfe arabique (l’évêque P. Imad Yalda). Un religieux chrétien du sud de l’Irak me cite les multiples raisons qui encouragent l’émigration. Cependant, la raison principale reste la violence dont font preuve des mouvements islamistes radicaux, prenant pour cible les chrétiens d’Irak.

 Actes de violence sans précédent Les chrétiens d’Irak n’avaient pas connu pendant leur histoire moderne de violences telles que celles qui les ont ciblés après 2003, et qui ont conduit à un changement majeur de démographie au sein de leur communauté, en faveur de la majorité musulmane. Le 14 février 1963, au cours du coup d’État des baathistes contre le gouvernement d’Abdul Karim Qasim, le journal Le Monde a évoqué des violences contre la minorité chrétienne en Irak. Cependant, ces campagnes n’avaient pas causé de changements démographiques et religieux drastiques au sein de la société irakienne. Le Monde a également publié, à la même époque, un rapport évoquant : « Au sein des milieux officiels du nouveau gouvernement, on entend dire que nous avons les listes des noms de tous les communistes et nous ne laisserons aucun d’eux nous échapper. La crainte est telle parmi les chrétiens chaldéens qui ont, dit-on, rejoint les rangs des communistes. » 

Dans ce contexte, la proclamation de la République d’Irak en 1958 est devenue un repère incontournable des milieux politiques et culturels irakiens. D’après eux, cette proclamation a changé la situation des minorités du pays. La promulgation de la loi 188 du Code du Statut personnel en 1959 a été un gain important pour les minorités, d’après des spécialistes en Irak et dans la région. Mais le répit a été de courte durée puisque l’Irak a replongé dans les violences et les coups d’État dès le 8 février 1963. La terreur des campagnes d’épuration commises par les baathistes a tout d’abord visé les minorités chrétiennes chaldéennes, avant de viser d’autres catégories irakiennes, du fait de leur alignement avec les communistes. La première constitution irakienne de 1925 ne mentionne aucune minorité religieuse ou ethnique dans le pays.

 En Irak, d’après le recensement de 1987, la population chrétienne était d’un million quatre cent mille personnes. Ce nombre a augmenté en 2003 pour atteindre un million et demi de personnes, pour ensuite diminuer à moins de 300 000 personnes en 2016. Ceci est dû à des actes de violence sans précédent, commis après 2003 par des groupes islamistes radicaux, contre les églises et les lieux de culte, ainsi que leurs locaux commerciaux et leurs clubs culturels. 

Al-Qaida, et Daech qui en est issu, étaient encore plus hostiles à l’égard des minorités religieuses en Irak. La lettre arabe « ن) « prononcée [noun]) que Daech a écrite sur les maisons et les propriétés chrétiennes à Mossoul, après le 10 juin 2014, a marqué le début de l’épisode le plus violent de la série des actes cruels contre les chrétiens dans le but de les forcer à quitter le pays ou à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

À part les violences et le terrorisme visant les minorités chrétiennes, il existe d’autres inégalités, à l’égard des chrétiens et autres minorités, dans les législations islamiques relatives à l’héritage, au mariage, au divorce, aux pensions et autres procédures relevant de la compétence des tribunaux. En somme, les lois en vigueur sont injustes envers les minorités qui souffrent de leurs retombées sur leurs vies, traditions et cultures. Outre les problèmes de terrorisme et de radicalisme religieux, il existe cinq défis principaux pour les chrétiens : 

1- Les problèmes d’éducation et d’accès des enfants appartenant aux communautés chrétiennes et minoritaires à un système éducatif ne tenant pas compte de leurs spécificités religieuses et culturelles. 
2- La liberté de rénover les lieux de culte ou d’en instaurer de nouveaux.
3- Les problèmes de travail dans une ambiance dominée par la discrimination religieuse et sociale voilée. 
4- La justice dans les tribunaux et naturellement, devant la loi.
5- Le droit de regroupement et de fonder des associations.

De plus, les chrétiens et les autres minorités religieuses, ethniques et culturelles d’Irak ont besoin d’une loi civile pour les protéger de la violence et de la discrimination organisée. La coexistence pacifique sans loi régissant et protégeant, naturellement, les droits et les devoirs reste utopique. Le laxisme relatif à la protection des autochtones dans leurs religions, cultures et traditions, quant à lui, est synonyme d’un Irak dépourvu de son histoire et de ses multiples cultures. Une catastrophe qui touchera le pays, dont les églises rescapées ne seraient que des lieux abandonnés.

*Cet article est Publié en Arabe le 26/08/2017 dans le quotidien irakien www.madapaper.net, la traduction et republication ont été faites par 

Agence française de coopération médias.

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